Pierre Ferot
Pierre FEROT est né le 4 janvier 1923 à Any Martin Rieux (Aisne). Ses parents étaient agriculteurs dans ce village, ont déménagé à Ligny en Cambrésis (Nord) et ont pris la décision d’évacuer dans la Drome en 1940, forcés par l’invasion allemande, comme de très nombreux français.
La famille est arrivée dans le hameau de Peroux (commune de Chatillon Saint Jean), à la limite de la Drôme et de l’Isère.
Cette maison, en réalité une ferme très modeste, était propriété de sa mère et dans la famille depuis le milieu de XVIe siècle. À ce jour, 15 générations s’y sont succédé.
Cet aspect historique avait une grande importance pour Pierre et il était très attaché à cette demeure familiale et aux quelques 3 hectares de terres et de bois qui y étaient rattachés.
Cet attachement et la forte relation qu’il avait avec sa mère l’ont conduit à y aller chaque lundi, autant pour se ressourcer que pour entretenir la relation avec ses parents et la ferme.
L’origine spirituelle de Pierre
Ordonné prêtre, à l’âge de 26 ans, le 29 juin 1949 à Valence, il a effectué sa formation au grand séminaire de cette même ville. Compte tenu de la durée de la formation (5 à 7 ans), il a fait le choix très jeune de devenir prêtre, dans un contexte de l’avant Vatican 2.
Cet aspect calendaire est essentiel : Vatican 2 a été une véritable libération pour Pierre : la soutane noire a été remisée dans un placard et sa relation aux paroissiens en a été d’autant plus libérée.
Sa relation d’admiration de sa mère a probablement joué dans son choix de prêtrise, celle-ci étant très fière que son 2ème fils fasse ce choix. Il faut ajouter que sa mère avait obtenu son diplôme d’institutrice, situation rare en 1919, ce métier étant « réservé » aux hommes.
Sa mère avait un niveau intellectuel et d’éducation élevé ce qui leur a donné une complicité discrète (Pierre évoquait très peu sa situation personnelle).
Le parcours de Pierre
Pierre a débuté sa charge pastorale comme aumônier du lycée Loubet de Valence. En 1967, il est nommé à la paroisse Notre Dame de Valence, puis – en 1976 – il intègre la paroisse Saint Pierre de Bourg les Valence.
Ce ne sont donc que 3 étapes, toutes sur l’agglomération de Valence, qui auront rythmé sa vie pastorale.
Cet élément est essentiel et permet de bien comprendre l’origine de sa notoriété. Au sein de la jeunesse prébac pendant 18 ans, il a connu de nombreuses générations qui l’ont suivi ensuite dans son itinéraire, déjà très impressionnés par la qualité de ses contacts humains et sa prêche déjà très ancrée dans la vie de tous les jours, plutôt que sur les dogmes de l’Eglise.
Un témoignage direct illustre bien ce contact : un lycéen ayant « fait le mur » est allé se réfugier à la cure de la paroisse Notre dame et Pierre l’a accueilli pour la nuit !
Ensuite neuf années passées rue Berthelot, dans un quartier très classe moyenne, classe supérieure, lui aura donné un ancrage dans un milieu social où il a été autant admiré qu’honni, notamment du fait de l’accueil des sans-papiers dans son église en 1972. On a même retrouvé dans ses archives une lettre qui lui était destinée avec inscrit sur l’enveloppe « Monsieur l’abbé ben Férot ».
En 1976, il intègre la paroisse de Bourg les Valence et y restera jusqu’à sa retraite en 1988. Il avait 65 ans, alors que la retraite des prêtres était à 75 ans. Mais il disait qu’il était un travailleur comme un autre et avait le droit de bénéficier de cette retraite comme tous les travailleurs. Il faut préciser que l’évêché de l’époque a approuvé ce départ anticipé, probablement content qu’il ne soit plus actif au sein de l’Eglise du fait de ses positions très tranchées sur l’ouverture de l’Eglise au monde.
En février 1989, Pierre avait obtenu un logement HLM dans la basse ville. Il en a été très heureux, « la seule chose qui me gène disait-il est que l’on voit la cathédrale depuis ma fenêtre ». Les tensions et le conflit, larvé, étaient consommés.
À son pot de départ, aux personnes qui exprimaient leurs regrets de le voir partir, il leur disait « venez où les droits de l’homme sont bafoués, vous m‘y trouverez ».
L’épisode de l’accueil des sans-papiers en 1972
En décembre 1972, Pierre et son équipe décident d’accueillir dans l’église Notre Dame des immigrés sans papiers tunisiens/musulmans qui étaient en marge de la société. Ils ont été hébergés dans la sacristie et ils étaient en grève de la faim.
Cet accueil (et non une occupation illégale) s’est fait en accord avec l’évêque – Mgr Jean de Cambourg (évêque de Valence de 1966 à 1977). Il s’en est suivi que Pierre n’a pas célébré la messe de minuit. Il faut imaginer le retentissement que cela a eu dans ce quartier bourgeois de Valence, mais aussi sur l’ensemble de la ville et au-delà.
Cet épisode aura été probablement fondateur pour l’engagement de Pierre auprès des immigrés et son militantisme au sein de l’ASTIV (Association de solidarité avec les travailleurs immigrés de Valence).
La personnalité de Pierre
Des témoignages directs permettent de caractériser sa personnalité autour de mots parfois contradictoires tels que discrétion et charisme.
Pierre était inspirateur de bon sens. Il avait un tempérament de visionnaire, préoccupé de l’avenir de l’Eglise et de l’humanité.
Pierre était un existentialiste – l’étude de l’homme et son intuition étaient fortes.
Un homme discret, mais qui avait une aura. Dans sa discrétion, Pierre savait beaucoup de choses. Il ne faisait pas de prosélytisme – jamais des paroles de Dieu, sauf dans ses homélies. Il aimait les préparer dans son âme de paysagiste (il préparait souvent son homélie dans son jardin de la Cure).
Dans le sillage de mai 1968, la communauté paroissiale était organisée dans la fraternité.
Pierre parlait peu. Il avait un vécu de silence et de fraternité, de discrétion, de respect ; un prêtre ami qui a été dans son équipe n’hésite pas à dire « J’ai eu 4 ans de silence avec lui ».
Les gens le voyaient comme un intellectuel, scientifique. Alors qu’il était délicat, toujours présent : un homme d’écoute et de prière. Une homélie fabuleuse en 1988 à l’église de Bourg les Valence basée sur sa relation à Dieu. Cette homélie n’a pas été un discours : il a levé les yeux au ciel et a nommé « Père ». Son homélie n’aura duré que 5 minutes et aura été un dialogue personnel avec son « Père ». En aucun cas, un discours, seulement une prière intime.
Pierre avait une aura dans tous les milieux. Le silence n’est pas une absence de connaissance.
Il y avait 3 prêtres majeurs en Drôme : Pierre FEROT, Jacques SCIOT et le directeur de l’école commerciale de Crest : ils étaient réputés les plus intelligents du diocèse, même s’ils ont été boudés du cléricalisme
La vie en équipe était essentielle pour lui. Régnait un esprit fraternel. La vie était chaleureuse. À Notre Dame, Maxime Rouhet était le premier levé et allait dire la messe. Michel Norayet le deuxième levé et allait travailler. Pierre, sans bruit, arrivait vers 10 h. Ils prenaient le repas tous ensemble – 7 à table avec la secrétaire et la cuisinière. Jamais une journée sans sa présence au jardin. Pierre était un paysagiste heureux. Sa porte n’était jamais fermée. Pierre était le pensant de l’équipe – mais il était tellement humble que rien ne transpirait.
À Bourg les valences, l’équipe aura été majeure également : avec Philippe LAILLIE et André COLOMBET, la paroisse avait une équipe priante et militante.
Le drame du 10 mars 1989
Revenant en scooter de sa maison parentale de Peroux, sur la route principale entre Romans et Valence, vers 19 h, donc la nuit, il a percuté un homme ivre qui titubait sur le bord de la route. Son cou a percuté la barrière de sécurité et lui a provoqué le « coup du lapin ». Il a été tué sur le coup.
Luc GABRIEL, ami proche de Pierre, médecin urgentiste, a été appelé sur les lieux, a constaté le décès d’un homme casqué sans le reconnaître, s’est occupé de l’autre personne en lui donnant les premiers soins, puis a constaté avec effarement que c’est son ami qui était décédé.
La nouvelle est tombée vers 23 h la traînée de poudre a commencé.
Ses obsèques ont été célébrées à l’église de Bourg les Valence. Son neveu a demandé à Maxime Rouhet de la célébrer. L’évêque ne la présidait pas et était assis dans l’assemblée. Symbole fort de sa relation à l’Eglise officielle.
De nombreux témoignages très poignants ont été exprimés. À la sortie de l’Eglise, l’évêque aurait dit « Ce n’était pas une messe, c’était une manif ». Quel hommage sans le vouloir !
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Bonté